La semaine dernière, la chambre d’instruction
de la cour d’appel d’Aix-en-Provence a rejeté pour la seconde fois
consécutive la demande d’extradition d’un des auteurs de cet article
(Vitaly Arkhangelsky), accusé par l’Etat russe de fraude et de
blanchiment d’argent. Son coauteur, résidant à Londres, a obtenu pour la
première fois en 2003 une protection similaire du gouvernement
britannique, et, depuis, les autorités et les tribunaux de
Grande-Bretagne ont rejeté toutes les demandes réitérées de son
extradition.
Ces dernières années, on observe en Russie une vague de prises de contrôle
illégales et d’expropriations en faveur de dignitaires de la police, procureurs et bureaucrates agissant en toute impunité sous la protection de l’Etat policier. Des dizaines de milliers d’entrepreneurs privés de leurs biens se trouvent en prison suite à des accusations pénales falsifiées, à commencer par les propriétaires du géant pétrolier Ioukos, jusqu’aux chefs de petites entreprises confisquées par des fonctionnaires sévissant au niveau local. La justice russe ne fonctionne pas car elle est inféodée à un pouvoir corrompu et sert d’instrument de chantage plutôt que de protection contre l’arbitraire.
Les affirmations des diplomates américains, dévoilées grâce à WikiLeaks, sur la transformation de la Russie en «un Etat mafieux virtuel» qui «a vu s’effacer la limite entre le pouvoir et la criminalité» ne sont pas une exagération.
Après la décision faisant jurisprudence des autorités britanniques de donner l’asile politique à Boris Berezovsky, on a vu des centaines de «business refugiés» arriver à Londres, et maintenant, on doit s’attendre à ce que les hommes d’affaires, les avocats, les journalistes russes cherchent une juste protection en France. Tout comme la Grande-Bretagne, la France verra une déferlante de demandes d’extradition fondées sur des poursuites pénales fabriquées de toutes pièces par un système judiciaire russe corrompu.
Comment doivent réagir les pouvoirs en France et dans les autres pays de l’Union européenne ? Le problème, c’est que le système de la coopération juridique européenne ainsi que celle, plus large, d’Interpol, présume que les Etats participants sont tous dans la même mesure attachés aux valeurs communes proclamées par la Déclaration universelle des droits de l’homme et, en ce qui concerne l’Europe, garanties par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). C’est pourquoi, tout mandat de recherche, toute demande d’extradition arrivant de Moscou sont considérés par Interpol et par la justice au même titre qu’une demande émanant de n’importe quel Etat occidental. Lorsque des structures privées, agissant dans l’intérêt de quelques personnes, se mettent à pourchasser un homme et utilisent toute leur puissance financière ainsi que tout le pouvoir de l’appareil étatique pour s’approprier ses biens et pour écraser sa résistance en le privant de tous les moyens de défense, y compris de sa liberté, ce bafouillage des valeurs de base des sociétés occidentales passe totalement inaperçu au moment où Interpol est saisi.
En pratique, cela permet aux autorités russes, agissant dans l’intérêt des structures mafieuses, de lancer un mandat d’arrêt international sur la base de poursuites pénales fabriquées de toutes pièces à l’encontre de la victime qui sera arrêtée où qu’elle se trouve et placée en détention en attendant que la demande de son extradition soit examinée.
A l’honneur des tribunaux occidentaux, ceux-ci prennent finalement des décisions pondérées et justes. Le poids cumulé de telles décisions prises ces dernières années et des rapports des organisations des droits de l’homme, telles que Amnesty International et le Conseil de l’Europe, et un nombre important de décisions de la CEDH à Strasbourg témoignent incontestablement de ce que la Russie ne peut être considérée comme un Etat de droit. Ainsi, la justice française a rejeté la demande d’extradition de Vitaly Arkhangelsky avec une motivation sans équivoque : l’Etat russe ne respecte pas les dispositions de la Convention des droits de l’homme, notamment le droit au procès équitable et l’interdiction des traitements inhumains et dégradants. Toutefois, une décision judiciaire favorable ne résout pas tous les problèmes.
L’un de nous deux, malgré sa victoire devant le tribunal français, ne peut pas se rendre à Londres, et l’autre, refugié en Grande-Bretagne, ne peut pas aller à Paris puisque les demandes russes adressées à Interpol restent toujours en vigueur. Ainsi, notre liberté est cantonnée au pays d’accueil. L’utilisation de mandats d’arrêts internationaux par l’Etat russe contre les hommes d’affaires dont les entreprises florissantes ont attiré l’appétit prédateur des structures corrompues constitue un véritable détournement du mécanisme initialement destiné à chasser les criminels, et en réalité facilite la tâche des Etats mafieux.
Il est temps pour la communauté internationale de revoir les pouvoirs d’Interpol en tenant compte des réalités actuelles. Il est urgent de renforcer la procédure de contrôle et de tri, qui permettra à Interpol de filtrer les mandats de recherche lancés par les Etats dont l’adhésion aux valeurs des droits de l’homme est plus que douteuse et d’être plus vigilant à la mauvaise fois avérée des autorités russes.
Par ailleurs, les tribunaux européens doivent regarder avec circonspection, voir avec suspicion, les procédures civiles et commerciales qui leur sont présentées au titre de l’exequatur ou de demandes de garanties à l’encontre des personnes visées par les fameux mandats d’arrêt russes.
Malheureusement, les leaders des pays occidentaux ont choisi de composer avec la dictature de Poutine pour des raisons de priorité de politique extérieure, qu’il s’agisse de l’Iran ou de la Syrie. C’est pourquoi ils ferment les yeux sur l’usurpation du pouvoir, l’écrasement de la démocratie et la persécution des dissidents, et plus largement des hommes d’affaires honnêtes, en Russie.
Mais le respect de la légalité et des droits de l’homme dans les pays occidentaux ne rentre pas dans le cadre de la politique extérieure, et leurs autorités publiques ne doivent pas contribuer à l’importation de la corruption russe en échange du vote de la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU.
C’est pourquoi, à la suite de la visite de M. Poutine à Paris, nous appelons les puissances occidentales à reconsidérer leur attitude vis-à-vis de leurs interlocuteurs russes, et à faire de sorte que soit opposée à Moscou une politique judiciaire européenne commune et que, partout en Europe, soient refusés ses mandats d’arrêt et ses demandes d’extradition totalement indignes provenant des autorités de justice disqualifiées à l’encontre des citoyens russes injustement persécutés, qu’il s’agisse des hommes d’affaires, des avocats ou des journalistes.
http://www.liberation.fr/monde/2012/06/03/contre-moscou-une-justice-commune_823296
Ces dernières années, on observe en Russie une vague de prises de contrôle
illégales et d’expropriations en faveur de dignitaires de la police, procureurs et bureaucrates agissant en toute impunité sous la protection de l’Etat policier. Des dizaines de milliers d’entrepreneurs privés de leurs biens se trouvent en prison suite à des accusations pénales falsifiées, à commencer par les propriétaires du géant pétrolier Ioukos, jusqu’aux chefs de petites entreprises confisquées par des fonctionnaires sévissant au niveau local. La justice russe ne fonctionne pas car elle est inféodée à un pouvoir corrompu et sert d’instrument de chantage plutôt que de protection contre l’arbitraire.
Les affirmations des diplomates américains, dévoilées grâce à WikiLeaks, sur la transformation de la Russie en «un Etat mafieux virtuel» qui «a vu s’effacer la limite entre le pouvoir et la criminalité» ne sont pas une exagération.
Après la décision faisant jurisprudence des autorités britanniques de donner l’asile politique à Boris Berezovsky, on a vu des centaines de «business refugiés» arriver à Londres, et maintenant, on doit s’attendre à ce que les hommes d’affaires, les avocats, les journalistes russes cherchent une juste protection en France. Tout comme la Grande-Bretagne, la France verra une déferlante de demandes d’extradition fondées sur des poursuites pénales fabriquées de toutes pièces par un système judiciaire russe corrompu.
Comment doivent réagir les pouvoirs en France et dans les autres pays de l’Union européenne ? Le problème, c’est que le système de la coopération juridique européenne ainsi que celle, plus large, d’Interpol, présume que les Etats participants sont tous dans la même mesure attachés aux valeurs communes proclamées par la Déclaration universelle des droits de l’homme et, en ce qui concerne l’Europe, garanties par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). C’est pourquoi, tout mandat de recherche, toute demande d’extradition arrivant de Moscou sont considérés par Interpol et par la justice au même titre qu’une demande émanant de n’importe quel Etat occidental. Lorsque des structures privées, agissant dans l’intérêt de quelques personnes, se mettent à pourchasser un homme et utilisent toute leur puissance financière ainsi que tout le pouvoir de l’appareil étatique pour s’approprier ses biens et pour écraser sa résistance en le privant de tous les moyens de défense, y compris de sa liberté, ce bafouillage des valeurs de base des sociétés occidentales passe totalement inaperçu au moment où Interpol est saisi.
En pratique, cela permet aux autorités russes, agissant dans l’intérêt des structures mafieuses, de lancer un mandat d’arrêt international sur la base de poursuites pénales fabriquées de toutes pièces à l’encontre de la victime qui sera arrêtée où qu’elle se trouve et placée en détention en attendant que la demande de son extradition soit examinée.
A l’honneur des tribunaux occidentaux, ceux-ci prennent finalement des décisions pondérées et justes. Le poids cumulé de telles décisions prises ces dernières années et des rapports des organisations des droits de l’homme, telles que Amnesty International et le Conseil de l’Europe, et un nombre important de décisions de la CEDH à Strasbourg témoignent incontestablement de ce que la Russie ne peut être considérée comme un Etat de droit. Ainsi, la justice française a rejeté la demande d’extradition de Vitaly Arkhangelsky avec une motivation sans équivoque : l’Etat russe ne respecte pas les dispositions de la Convention des droits de l’homme, notamment le droit au procès équitable et l’interdiction des traitements inhumains et dégradants. Toutefois, une décision judiciaire favorable ne résout pas tous les problèmes.
L’un de nous deux, malgré sa victoire devant le tribunal français, ne peut pas se rendre à Londres, et l’autre, refugié en Grande-Bretagne, ne peut pas aller à Paris puisque les demandes russes adressées à Interpol restent toujours en vigueur. Ainsi, notre liberté est cantonnée au pays d’accueil. L’utilisation de mandats d’arrêts internationaux par l’Etat russe contre les hommes d’affaires dont les entreprises florissantes ont attiré l’appétit prédateur des structures corrompues constitue un véritable détournement du mécanisme initialement destiné à chasser les criminels, et en réalité facilite la tâche des Etats mafieux.
Il est temps pour la communauté internationale de revoir les pouvoirs d’Interpol en tenant compte des réalités actuelles. Il est urgent de renforcer la procédure de contrôle et de tri, qui permettra à Interpol de filtrer les mandats de recherche lancés par les Etats dont l’adhésion aux valeurs des droits de l’homme est plus que douteuse et d’être plus vigilant à la mauvaise fois avérée des autorités russes.
Par ailleurs, les tribunaux européens doivent regarder avec circonspection, voir avec suspicion, les procédures civiles et commerciales qui leur sont présentées au titre de l’exequatur ou de demandes de garanties à l’encontre des personnes visées par les fameux mandats d’arrêt russes.
Malheureusement, les leaders des pays occidentaux ont choisi de composer avec la dictature de Poutine pour des raisons de priorité de politique extérieure, qu’il s’agisse de l’Iran ou de la Syrie. C’est pourquoi ils ferment les yeux sur l’usurpation du pouvoir, l’écrasement de la démocratie et la persécution des dissidents, et plus largement des hommes d’affaires honnêtes, en Russie.
Mais le respect de la légalité et des droits de l’homme dans les pays occidentaux ne rentre pas dans le cadre de la politique extérieure, et leurs autorités publiques ne doivent pas contribuer à l’importation de la corruption russe en échange du vote de la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU.
C’est pourquoi, à la suite de la visite de M. Poutine à Paris, nous appelons les puissances occidentales à reconsidérer leur attitude vis-à-vis de leurs interlocuteurs russes, et à faire de sorte que soit opposée à Moscou une politique judiciaire européenne commune et que, partout en Europe, soient refusés ses mandats d’arrêt et ses demandes d’extradition totalement indignes provenant des autorités de justice disqualifiées à l’encontre des citoyens russes injustement persécutés, qu’il s’agisse des hommes d’affaires, des avocats ou des journalistes.
http://www.liberation.fr/monde/2012/06/03/contre-moscou-une-justice-commune_823296
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