Par Marie N. Pane pour Russie-Libertés
Le 24 mai 2012, la cour d’appel d’Aix en Provence a rejeté pour la
seconde fois consécutive la demande d’extradition émise par le Parquet
Général de Russie à l’encontre de Vitaly Arkhangelsky, PDG de la holding
pétersbourgeoise Oslo Marine Group spécialisée dans le transport
maritime et les activités portuaires. Ce rejet vient confirmer celui
déjà prononcé en novembre 2011 par le même tribunal.
La décision de justice rendue par la cour d’appel d’Aix est,
pour l’ensemble du système judiciaire russe, un camouflet cinglant
articulé en trois points.
Pour formuler ses demandes d’extradition, la Russie peut se prévaloir de la
Convention
du Conseil de l’Europe sur l’extradition, qu’elle a ratifiée en
décembre 1999, et qui stipule que « les parties contractantes s’engagent
à se livrer réciproquement les individus qui sont poursuivis pour une
infraction ou recherchés aux fins d’exécution d’une peine ou d’une
mesure de sûreté par les autorités judiciaires de la Partie requérante
». Cependant chacun des pays signataires de cette Convention a émis un certain nombre de réserves limitant son champ d’application. Parmi celles formulées par la France
, l’une implique que « l’extradition ne sera accordée que pour les
faits punis par la loi française et par la loi de l’Etat requérant,
d’une peine ou mesure de sûreté privative de liberté d’un maximum d’au
moins deux ans ». Une autre stipule que « l’extradition ne sera pas
accordée lorsque la personne réclamée serait jugée dans l’Etat requérant
par un tribunal n’assurant pas les garanties fondamentales de
procédures et de protection des droits de la défense ». Une autre enfin
pose que « l’extradition pourra être refusée si la remise à l’Etat
requérant est susceptible d’avoir des conséquences d’une gravité
exceptionnelle pour la personne réclamée». Ce sont ces trois réserves qui ont été mises en avant pour refuser l’extradition de Vitaly Arkhangelsky.
Le premier paragraphe est directement adressé au Parquet Général de
Russie, dont l’argumentation est jugée « confuse », et ne contenant «
aucun argument factuel, même ténu ». Difficile de faire plus humiliant !
La cour n’avait certes pas à se prononcer sur le fond de l’affaire,
mais la partie russe a totalement échoué à convaincre les juges français
que les faits reprochés à Arkhangelsky sont bien passibles d’une peine
d’emprisonnement supérieure à deux ans, condition indispensable à toute
extradition. Le mandat d’arrêt présenté par les autorités russes,
traduit dans un français illisible, se résume à une longue répétition
d’accusations vagues (« actions criminelles d’un groupe de personnes non
constaté par l’instruction (sic) agissant selon l’entente préalable et
en commun avec lui ») et de formules incantatoires, où les qualificatifs
de « criminels », « astucieux », « captieux », « à grande échelle »
tentent vainement de donner du poids à des faits relevant tout au plus,
s’ils étaient avérés, d’une amende.
L’incompréhension entre les deux parties est donc totale et
réciproque : les magistrats français ont eu l’impression que les
procureurs russes se moquaient d’eux, alors que ces derniers n’ont fait
que travailler selon leur méthode habituelle et se sont vexés de cette
appréciation. Au point qu’Alexandre Zviaguintsev, premier adjoint du
Procureur Général de Russie, a écrit une lettre incendiaire au ministre
de la justice français pour se plaindre des juges provençaux. On peut
comprendre leur désarroi lorsque l’on sait que cette rhétorique creuse
et amphigourique, qui, par un tour de passe-passe, transforme des
activités commerciales ordinaires en crimes passibles de plusieurs
années de prison, et le collectif d’une entreprise en « bande criminelle
organisée », a fait ses preuves dans de nombreux tribunaux russes, à
commencer par ceux en charge de l’affaire Yukos. Pour des œuvres
similaires les procureurs Lakhtine, Shokhine et d’autres ont reçu du
gouvernement russe primes, décorations et avancement. On peut comprendre
également que dans un pays où l’indépendance du judiciaire par rapport à
l’exécutif n’est pas qu’une vaine formule, la lettre du procureur
Zviaguintsev ait eu l’effet inverse de celui recherché.
Le deuxième paragraphe de la décision de la cour d’appel d’Aix est
encore plus intéressant. Il marque un précédent significatif et sans
doute très inquiétant pour la partie russe. En effet, jusqu’à présent,
lorsqu’une demande d’extradition était rejetée, c’était en lien avec les
circonstances particulières d’une affaire donnée. Ainsi, le 4 mars 2009
la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris avait refusé
d’extrader un demandeur d’asile de nationalité russe, Ahmed Lepiev,
accusé de terrorisme par la Russie, en arguant du fait que ses origines
tchétchènes lui faisaient courir un danger particulier. Mais ce qui est
affirmé dans l’arrêt de la chambre d’instruction sur le cas
Arkhangelsky, c’est ni plus ni moins que la Russie fait désormais partie des Etats qui n’assurent pas les droits fondamentaux de la défense. Les juges se réfèrent au rapport
de la commission juridique des Droits de l’Homme au Conseil de
l’Europe, en date du 7 aout 2009 , qui relève les nombreux cas de
menaces et de pressions exercées sur les magistrats et les avocats,
l’imprécision des chefs d’accusation, et le manque d’indépendance du
ministère public et des juges, et tirent la conclusion qu’il y a « tout
lieu d’avoir de sérieux doutes sur l’équité de la procédure pénale
intentée à l’encontre de Vitaly Arkhangelsky, sur les garanties
fondamentales de procédure et sur la protection effective des droits de
sa défense ».
Il est intéressant de noter qu’en revanche, l’argument politique
avancé par les avocats de l’homme d’affaire a été balayé par les
magistrats français, soucieux de ne pas mélanger persécution politique
et persécution économique. L’amitié liant Arkhangelsky et plusieurs
leaders de l’opposition russe, ses prises de position publiques sur la
corruption en Russie et l’appartenance de ses persécuteurs aux cercles
des proches de Vladimir Poutine n’ont pas été considérées comme des
arguments suffisants pour faire jouer l’article 3 de la Convention
Européenne sur l’extradition (refus automatique si l’infraction pour
laquelle l’extradition est demandée est de nature politique). En
revanche la cour d’Aix a été sensible au tableau présenté par la défense
d’une justice russe complice de « raiders travaillants pour le système
».
Enfin le troisième point avancé pour refuser l’extradition de Vitaly
Arkhangelsky est le risque d’être soumis à des traitements inhumains et
dégradants. Ici les juges français s’appuient sur les nombreux arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme condamnant la Russie,
et qui font état de cas de tortures, de conditions d’emprisonnement
incompatibles avec le droit à la vie, sur le rapport devant le Conseil
de L’Europe précité, ainsi que sur le rapport
d’Amnesty International pour l’année 2011 . La chambre d’instruction se
réfère en particulier à l’affaire Magnitsky pour conclure qu’elle « ne
peut avoir la certitude que Vitaly Arkhangelsky, au regard du contexte
complexe de cette affaire, ne risque en aucune façon de subir des
traitements inhumains ou dégradants » et qu’en conséquence elle ne peut
émettre qu’un avis défavorable à cette demande d’extradition.
Il est donc clair que dans l’esprit des magistrats français, la
réputation du système judiciaire russe est désormais tellement douteuse
qu’elle est de nature à annuler de facto la convention d’extradition
signée par les deux pays. Les arguments avancés pour refuser
l’extradition contiennent un jugement global sur le travail de la
justice russe, une justice susceptible de partialité, intéressée, voire
instrumentalisée, une justice qui ne garantit ni les droits de la
défense, ni la sécurité de l’accusé. Il est donc à attendre que
les rejets des demandes d’extradition vers la Russie se fassent
systématiques, comme c’est déjà le cas au Royaume Uni, et que la France
devienne à son tour une terre d’asile pour les entrepreneurs russes
persécutés par le régime maffieux de Vladimir Poutine.
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